AMÉRIQUE LATINE - Réunies en sommet en janvier dernier à Santiago du Chili, l'Amérique latine et l'Europe n'avaient pas grand-chose à se dire. L'Amérique latine regarde ailleurs pour alimenter sa croissance et l'Europe ne parvient pas à s'accorder sur un scénario consensuel de sortie de crise, ce qui laissait peu de marges pour un dialogue constructif.
Prolonger la réflexion, imaginer, pour une fois, que l'Europe puisse tirer des leçons des réussites latino-américaines, se pencher sur l'état des relations politiques et économiques entre les deux continents, inviter les acteurs impliqués à faire part de leur point de vue, tels sont les objectifs du séminaire CAF/Sciences Po, qui aura lieu le 14 février (1).
Une période exceptionnelle
Comme l'indique le rapport annuel de l'OPALC (2), l'Amérique latine a fait preuve de quelques fragilités en 2012, tant au plan économique (ralentissement de la croissance) que politique (coup d'Etat au Paraguay, crise institutionnelle au Salvador, campagnes électorales déséquilibrées au profit des équipes au pouvoir dans plusieurs pays). Mais ce continent connaît depuis presque une décennie une période exceptionnelle de croissance et de progrès sociaux.
Des esprits chagrins pourront argumenter que l'Amérique latine est tout bonnement chanceuse.
L'envolée des prix des produits que la région exporte, notamment vers la Chine, a engendré un boom économique sans précédent. Ces mêmes esprits ne manqueront pas de souligner que l'embellie pourrait être de courte durée, et que de surcroît elle pourrait avoir un impact négatif durable.
La croissance made in China provoque une désindustrialisation du continent, perceptible même au Brésil (3). L'Amérique latine pourrait se voir renvoyer au XIXe siècle, quand son développement dépendait uniquement de l'exploitation de ses richesses naturelles.
Sans nier l'importance de ces débats, et quelles que soient les surprises que peut nous réserver l'évolution de la conjoncture économique internationale, les marges de manœuvre fiscale dont disposent les pays ont dans l'ensemble été utilisées à bon escient, notamment pour développer des programmes de réduction de la pauvreté et des inégalités.
Leadership et innovation
Surtout, l'Amérique latine a fait preuve de deux qualités qui lui ont permis d'aller de l'avant: leadership et innovation.
Les années 2000 ont vu émerger des dirigeants politiques (Chavez, Lula, Morales, Correa, Lagos...) dotés d'indéniables capacités à fixer un cap et à s'y tenir. Plébiscités par les électeurs, ils ont disposé de temps pour approfondir leurs réformes ou même leurs révolutions, et consolider les innovations introduites en matière de politiques sociales, démocratie participative ou politiques multiculturelles.
La gauche, qui gouverne une majorité de pays depuis bientôt quinze ans, peut s'attribuer le mérite d'une telle mutation.
En renonçant, à quelques nuances (importantes) près, à un programme de transformation radicale des sociétés (nationalisations massives, réformes agraire et fiscale...), elle a contribué à faire progresser le consensus dans la région (4).
L'Amérique latine croit en la capacité du politique à transformer les sociétés. L'époque est bien loin où ce continent ne jurait que par les vertus du marché et des réformes néolibérales... que l'Europe s'emploie à imposer à ses pays du sud.
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(1) Consulter le programme sur le site: www.sciencespo.fr/caf
(2) Amérique latine. Political Outlook 2012, publié dans la collection des Etudes du CERI (n°187-188, Décembre 2012)
(3) Lire à ce sujet
le papier de Pierre Salama
(4) Voir Olivier Dabène (sous la direction de), La gauche en Amérique latine, 1998-2012,
Presses de Sciences Po, 2012